Raymond Queneau, exercices de style
« Crise de l’observation et des sensibilités »
1er chapitre : production
Série d’activités basiques destinées à diriger nos sens vers un phénomène particulier et à produire toutes sortes d’observations à son propos
2ème chapitre : interaction
Propose d’intervenir dans la situation observée en en modifiant une des dimensions, par exemple par l’échange verbal
3ème chapitre : Compilation
Tirer parti de l’accumulation d’observations, et de leur comparaison, pour identifier des motifs et singularités
Parfois repris d’autres travaux, parfois de mon invention, ces exercices combinent des perspectives plurielles, entre anthropologie des techniques, sociologie des usages, design, histoire naturelle, géographie et pratiques artistiques.
Multiplier les points de vues, les échelles, et les postures
De manière générale, multiplier les outils c’est multiplier les points de vue (carnet, stylo, appareil photo, enregistreur, longue vue, sac plastique
William Burroughs, écrivain compile détails de son voyage entre Tanger et Gibraltar : 3 colonnes, 1 avec le récit du voyage, 1 avec ce à quoi il pensait à ce moment là, 1 avec des citations de livres qu’il avait emmené avec lui
Lynda Barry, dessinatrice, chaque page représente 1 journée et elle les divise en 4 : ce qu’elle a vu, ce qu’elle a entendu, ce qu’elle a fait et un dessin de quelque chose qui a attiré son attention
« Où que vous soyez, passez dix minutes à dresser un inventaire systématique de ce qui s’y déroule autour de vous. Avec ou sans chronomètre, notez sur une feuille le maximum d’observations possible à propos des entités présentes (animaux, humains, plantes, objets, véhicules, infrastructures, panneaux et écrits divers, etc.) et de ce qui advient autour de vous (mouvements, apparitions, disparitions, changements quelconques). Relevez tout ce qui attire votre attention. Insistez sur le visuel autant que le sonore, sur le statique comme sur le mobile, sur le banal comme sur l’intriguant. À partir de cet inventaire, produisez une liste contenant au moins trente éléments organisés sous forme de colonnes, dans l’ordre de votre choix. »
Muñoz Molina illustre son extraordinaire capacité à collecter une matière aussi banale que poétique pour saisir le monde contemporain.
« Choisissez un élément quelconque de monde autour de vous (un objet, un minéral, un animal), et observez-le pendant une dizaine de minutes. Trouvez vingt-cinq questions à vous poser à son propos, sans chercher nécessairement à y répondre. Ces interrogations peuvent porter tout autant sur sa forme que sur son état actuel, ses fonctions ou ses usages. Présentez ces questions sous la forme d’une liste en vrac. »
Méthode librement adaptée d’un exercice de Baptiste Morizot
Georges Perec : « faites l’inventaire de vos poches, de votre sac »
« Rendez-vous dans un lieu où déambulent des individus (espaces d’attente de transports en commun, centre commercial, place publique) ou des animaux en tous genre (vaches dans un champ, pigeons sur le trottoir). Trouvez un point de vue qui permette d’observer la scène de façons large et ouverte. Sélectionnez deux ou trois « sujets », que vous suivrez du regard simultanément ou successivement. Sur une même feuille de papier, dessinez leur parcours réalisé dans cet espace le temps d’une quinzaine de minutes. Donnez un titre à la carte ainsi produite.
Paul-Henry Chombart de Lauwe sa représentations des « trajets pendant 1 an d’une jeune fille du XVIe arrondissement »
« Rendez-vous dans un lieu quelconque bien délimité (un supermarché, un quartier, un parc public, l’appartement d’un ami, une forêt). Déambulez dans cet espace en relevant le maximum d’éléments à son propos : notez vos impressions sur l’ambiance générale ou sur des détails spécifiques, photographiez ou dessinez ce qui vous semble caractéristique. N’hésitez pas à vous arrêter. Repérez les limites, les ouvertures, les objets présents, les flux éventuels de population, ainsi que toutes sortes de détails frappants qui semblent spécifiques à cet endroit. Repérez l’organisation générale du lieu et identifiez grossièrement les dimensions des éléments qui le composent. Faites-en un plan copieusement légendé. »
Aristote, Rebecca Solnit, Jean-Jacques Rousseau : les déplacements pédestres mettent la pensée en mouvement.
Les surréalistes cherchaient à appréhender le sous-texte des grandes villes par la déambulation
Lettristes, puis situationnistes, pareil mais en version « dérives urbaines », errance ludique et spontanée
Jean Rolin, Iain Sinclair, locative media art, technologies de géolocalisation pour réinventer l’exploration spatiale
Tony Smith, Richard Long, Robert Smithson, Land Art
« Protocole de déplacement »
« Dans un lieu quelconque (café, forêt, place publique, plage), mais avec une certaine densité de fréquentation, humaine ou animale, pendant une ou deux heures, notez tout ce que vous pouvez entendre (son, phrases, bruit) et sur une carte, l’endroit où vous les avez entendus. Représentez autant que possible les sources d’émission de ces sons et leurs caractéristiques (volume, variation d’intensité, réponses éventuelles). Ne vous privez pas d’utiliser des onomatopées approximatives lorsqu’il ne s’agit pas de langage articulé. Produisez-en une carte synthétisant les observations les plus frappantes de votre point de vue. »
Variante : Carte d’odeurs (artiste Keri Smith)
« Choisissez un territoire donné et définissez-y un itinéraire qui vous semble pertinent (traversée d’un quartier, d’un centre commercial ou d’une forêt). Baladez-vous pendant une heure dans cet endroit et relevez toutes les odeurs rencontrées sous la forme d’une liste. Notez leur intensité, leurs sources hypothétiques, votre perception de leur qualité au moyen d’adjectifs, de comparaisons ou de souvenirs. Produisez à partir de ce matériaux une frise chronologique. »
François Maspero et Anaïk Frantz, Les passagers du Roissy-Express
=> dans un train du coup
Jean-Pierre Deffontaines, géographe,
Paysages en TGV : regard sur les agricultures
De Paris vers Marseille : fenêtre de droite. Description des 20 paysages analysés
Marc Augé, Un ethnologue dans le métro
« Choisissez un lieu qui vous semble digne d’intérêt et surtout très lointain (une ville d’une série télévisée ou d’un roman que vous avez apprécié, un endroit dont vous avez entendu parler sans jamais avoir pu vous y rendre). Produisez un texte décrivant soigneusement votre parcours dans ce lieu sans y aller physiquement. Utilisez pour cela le maximum de moyens qui vous tombent sous la main : une carte en ligne, Google Street View, des photographies trouvées sur les réseaux sociaux, toutes sortes de documents trouvés sur le web ou dans une bibliothèque. »
Pierre Bayard, comment parler des lieux où on n’a pas été ?
Olivier Hodasava, Éclats d’Amérique
Portrait fragmentaire de chaque État des États-Unis décrit au moyen de photos capturées sur google street view, qui font l’objet de spéculations sur les lieux, les objets et les personnes qui les occupent.
« Rendez-vous dans un lieu public (café, parc, banc public, transport en commun). Rapprochez-vous d'un groupe de deux ou trois personnes et prenez des notes à propos de la discussion en cours, en vous attachant à relever le maximum de détails : phrases émises, ton, volume et hauteur de voix, informations sur la mélodie éventuelle, place occupée par chaque interlocuteur. Produisez ensuite une représentation de la partie signifiante de cette conversation sous forme d'une série de bulles de dialogues (à la manière des échanges de messages sur un smartphone). Cherchez à représenter les singularités de chacun. »
« Toujours dans un lieu public, consacrez trente à soixante minutes à dessiner de manière schématique les gestes et les postures des personnes en interaction avec divers objets (smartphone, tablette, journal, livre); utilisez pour cela une représentation en bâtonnets et des traits grossiers. Ne vous concentrez pas sur les détails, mais sur la figuration des postures. Rendez compte des gestes par des flèches décrivant les mouvements. Identifiez des motifs récurrents et donnez-leur un nom. »
André-Georges Haudricourt, « il faut mettre autour de l’objet l’ensemble des gestes humains qui le produisent et qui le font fonctionner »
L’engagement du corps dans l’action
Marcel Mauss, tout acte est un mouvement musculaire appris, transmis et imité
l'observation des gestes pour les linguistes et sociologues par exemple, sert à compléter la compréhension non-verbale des interactions humaines (et animales)
Transcrire des conversations semble facile, en revanche documenter et décrire des gestes et postures semble plus compliqué
Blandine Bril, anthropologue, utilise le dessin simplifié, bonhommes batons : représenter allure / posture
Adam Kendon, anthropologue : détourre les corps à partir de photos => réduit le nombre de données à des contours
Bruno Munari, Supplément au dictionnaire italien : Répertoire illustré de gestes communément employés en Italie
Andrew Causey
« Sélectionnez une activité répétée, codifiée et observable (réalisation d'une recette de cuisine ou d'un rituel religieux accessible, réparation d'un objet, manufacture d'un objet chez un artisan). Documentez chaque opération en observant les gestes isolés, les paroles prononcées et les éventuelles interactions antérieures avec d'autres choses et êtres, pendant et après cette activité. Précisez les lieux, les personnes impliqués ainsi que les postures, mouvements du corps, outils et matières utilisés, de même que la terminologie employée par les acteurs. Dessinez un diagramme chronologique qui en décrive le déroulement et les étapes éventuelles de la manière la plus détaillée possible. »
Permet d’identifier les différences suivant les groupes sociaux qui les effectuent
Observations visuelles, de l’action en cours avec les commentaires éventuels de son auteur ou des protocoles, règles ou recettes à suivre.
« Sur un territoire plus ou moins circonscrit (un quartier urbain, le périmètre d'une gare ou d'un nœud de transport, une forêt), observez les coins moins accessibles à première vue, les passages discrets (à identifier au préalable sur un plan), les recoins d'une pièce ou d'un grand bâtiment si vous êtes dans un espace intérieur, les interstices entre deux bâtiments, deux arbres ou deux objets, les anfractuosités quelconques (un orifice dans une façade, un nid de poule, une cavité dans une paroi minérale). Prenez en photo, dessinez ou consignez toutes les choses et les êtres que vous y rencontrez. Produisez-en un abécédaire composé d'une liste et d'un court texte organisé par ordre alphabétique. »
« Chacune des consignes présentées dans ce recueil vous invite à choisir un lieu digne d'intérêt. Il s'agit ici de prendre le contrepied de cette proposition pour cultiver plus spécifiquement son attention envers les lieux cachés, délaissés, voire masqués - pour se pencher sur ce que Georges Perec nommait l'infra-ordinaire, c'est-à-dire ce qui est « en dessous » de nos préoccupations quotidiennes, que l'on ne voit plus. Je vous propose de focaliser votre attention sur des échelles différentes : en premier lieu sur ces emplacements négligés que sont les cavités et autres orifices inévitablement présents où que vous soyez - sur la voirie, dans les façades de bâtiment, mais aussi dans les troncs d'arbres, les parois minérales et autres réceptacles quelconques courants sur la voie publique, comme les lampadaires et pylônes souvent recouverts d'autocollants, de graffitis ou d'affiches plus ou moins datées. Cet intérêt peut ensuite s'étendre aux lieux et territoires marginaux en général négligés, et qui relèvent aussi de l'infra-ordinaire. Laveries automatiques, boutiques de réparation de smartphones, boutiques ethniques, fêtes foraines itinérantes, magasins d'objets de seconde main font par exemple partie des endroits que je passe du temps à explorer… »
« Trouvez une poubelle accessible. Videz-en le contenu sur le sol (préalablement protégé par un sac ou un support quelconque), et répartissez-le en tentant de réaliser des tas de détritus plus ou moins similaires. Comptez minutieusement les éléments trouvés et produisez des représentations graphiques (diagrammes circulaires ou en bâton) en suivant différents critères que vous aurez identifiés. Observez par exemple le pourcentage de choses organiques ou non et représentez-les sous forme d'un diagramme en camembert. Accompagnes ces diagrammes d'un court texte décrivant ce contenu (hypothèses d'appartenance à des personnes différentes, anecdotes ou détails remarquables, surprises particulières, interrogations). »
« Rendez-vous dans un lieu quelconque (urbain ou périurbain), mais avec une certaine densité de fréquentation humaine. Munissez-vous d'un smartphone. Documentez les noms des réseaux Wi-Fi en vous baladant le long de l'itinéraire que vous avez choisi. Produisez une carte représentant ces éléments. La consigne est valable aussi avec un compteur Geiger, un moniteur de qualité de l'air ou le jeu Pokémon Go. »
« Dans un lieu quelconque, mais avec une certaine densité de passage et d'objets, pendant vingt minutes, prenez des notes manuscrites en prêtant volontairement attention à des directions ou des phénomènes variés tournez, après chaque annotation, la tête et le corps de 180 degrés, observez successivement un geste, une parole, un objet, le sol, quelque chose en hauteur. Changez également de perspective en passant du visuel au sonore, puis à l'olfactif ou au toucher. Résumez vos observations en un court paragraphe décrivant votre impression générale, abstenez-vous de ne produire qu'une liste. »
Saisissez-vous d'un objet quelconque, de préférence méconnu et auquel vous accordez généralement peu d'attention. Manipulez-le de multiples façons pour en saisir les caractéristiques. Pensez par exemple à le toucher doucement avec les doigts, à le faire tourner dans tous les sens, à le caresser et le frotter avec le plat de votre main. Tentez de cogner sa surface avec le doigt replié comme pour toquer à une porte, pensez à sentir son odeur, à identifier la présence éventuelle de sons en le plaçant près de votre oreille, à l'agiter ou le gratter, etc. N'hésitez pas à fermer les yeux pour vous concentrer. Consignez vos constats sur une feuille, sous la forme d'une liste de qualificatifs (rugueux, mou, creux, piquant).
François Sigaut, 3 points de vue :
La structure (qu’est-ce que c’est ? De quoi c’est fait ?)
Le fonctionnement (comment ça marche ?)
La fonction (pour quoi faire ? À quoi ça sert ?)
Prenez un objet du quotidien de taille moyenne, entre la montre et le robot de cuisine. Munissez-vous d'outils (tournevis, clés) et démontez-le en déposant ses différents composants sur une surface plane et dégagée. Dessinez ensuite l'allure générale des différentes parties et pièces détachées en leur donnant des noms-soit en utilisant la terminologie appropriée si vous la connaissez, soit en trouvant des manières de vous en rapprocher (forme, analogie avec un autre objet, inscription, métaphore quelconque). Aidez-vous éventuellement des tactiques de l'exercice précédent. Remontez l'objet une fois le dessin finalisé.
Variante : Système socio-technique
Produisez un diagramme décrivant ce qui est nécessaire au bon fonctionnement d'une machine de votre environnement quotidien frigo, voiture électrique, panneau lumineux, borne de vente, distributeur de billets... De quels objets, opérateurs humains, infrastructures et normes techniques a-t-elle concrètement besoin? Procédez à la fois par l'observation directe (en manipulant et en scrutant le moindre indice, parfois écrit en caractères minuscules sur l’appareil) et par la consultation de ressources en ligne ou d'experts. Réalisez éventuellement cet exercice à plusieurs.
Chercher comment l’idéologie ou les imaginaires des concepteurs de ces objets se retrouvent inscrits dans ceux-ci, comme le proposait la sociologue Madeleine Akrich. Il s’agit alors d’accéder à leurs propos dans des archives diverses, entretiens, conférences et brevets.
Dans un lieu quelconque, par exemple celui exploré dans le quatrième exercice, enquêtez auprès d'une dizaine de passants sur le caractère spécifique de l'endroit. Pour cela, préparez à l'avance trois ou quatre thèmes à évoquer systématiquement, dont une question d'ouverture très large, et quelques-unes à propos d'un site marquant à proximité, de la réputation des lieux, de souvenirs particuliers, ou de tout phénomène curieux qui s'y est déroulé il y a plus ou moins longtemps. Documentez les réponses autant que possible puis produisez une carte de ce territoire. Comparez le résultat à celle du quatrième exercice et de ses variantes.
Tactique employée par le collectif ici-même : se balader dans la rue avec un écriteau indiquant sobrement « parlez-moi »
On peut choisir nos interlocuteur.rices de manière extrême : les marges, ceux qui fonctionnent différemment, dans le but de nous donner de nouveaux objectifs à remplir dans un projet design par ex
Rendez-vous dans un lieu un peu animé (café, plage, infrastructure sportive) et entrez en discussion avec une personne de votre choix, en lui demandant son accord. Tentez de recueillir le maximum d’informations à son propos par l’observation directe et l’échange : âge approximatif, genre, allure générale, silhouette, type de vêtements, remarques sur la voix, interactions avec d'autres, propos émis, réactions non verbales, types de gestes et objets utilisés, usage de ces objets. Rédigez ensuite sous forme de petits paragraphes le portrait de cette personne en reprenant les éléments qui la caractérisent.
Sur le même terrain que l'exercice précédent, demandez à deux ou trois personnes de dessiner de tête le maximum de détails à son propos : bâtiments, voies de circulation, éléments de paysages, points de repère, phénomènes quelconques, ainsi que des souvenirs ou remarques éventuels à leur propos. Discutez des dessins en cours de réalisation. Comparez les différences entre les cartes qu'ils ont produites et votre représentation synthétique issue de la consigne précédente, ou celles réalisées lors du quatrième exercice.
L’anthropologue Andrew Causey mentionne l’intérêt de proposer aux participants à ses enquêtes de commenter des croquis et des schémas en cours de réalisation. Ce type de démarche est couramment employé en géographie ou en sociologie urbaine, pour saisir les représentations de l’espace vécu et perçu par les habitants ou les visiteurs d’un quartier. On parle ainsi de cartographie sensible, ou mentale.
Kevin Lynch, urbaniste, L’image de la cité, demandait aux habitants de dessiner un plan de leur cité, de commenter les trajets qu’ils effectuaient en son sein, ainsi que les endroits qu’ils considéraient être les plus caractéristiques. Lynch a travaillé sur la capacité d’éléments à projeter une certaine identité, une lisibilité générale plus ou moins facile à mémoriser.
Kevin Kelly, Internet mapping project
« Please draw a map of the internet, as you see it. Indicate your home. »
https://www.flickr.com/photos/kevinkelly/albums/72157613562011932/
Participez à une activité collective (jardin collectif partagé, cérémonie religieuse, maraude sociale de nuit, visite touristique, repair café) en ayant au préalable demandé la permission de le faire, et contribuez-y autant que possible. Montrez-vous volontaire lorsque quelqu'un a besoin d'aide. Arrivez en avance, restez longtemps, prolongez votre présence même après la fin des activités. Discutez avec les membres, observez ce qui se déroule sur place, écoutez les échanges, le vocabulaire employé, que vous tenterez d'adopter. Aidez au mieux sans rien documenter sur le moment, mais pensez à appliquer les pistes des exercices 1 à 8. Le soir venu (ou quelques heures plus tard), au calme, rédigez un texte décrivant l'activité en question, son organisation (rôle de chacun, non-dits éventuels), et vos impressions ou surprises.
Sélectionnez une activité répétée, codifiée et observable (réalisation d'une recette de cuisine, entretien d'un objet ou d'une plante, opération de bricolage quelconque, soin envers un animal, pratique sportive). Montrez-vous attentif à chaque geste isolé, aux paroles prononcées avant, pendant et après cette activité, ainsi qu'aux diverses interactions avec d'autres choses et êtres, postures, mouvements du corps, outils et matières utilisés. Contribuez à l'activité en cours et tentez de la reproduire seul plusieurs fois, de préférence en présence de la personne qui l'a réalisée auparavant. Demandez des conseils afin d'être guidé dans la reproduction des mouvements, paroles et interactions précises.
Reprenez l'exercice 11. Durant la phase d'observation, avec l'accord des participants, réalisez une série de photographies à propos de l'activité en cours, en particulier des gestes réalisés et des objets mobilisés. Proposez ensuite à un ou plusieurs des participants d'échanger avec vous pendant une vingtaine de minutes : demandez-leur de sélectionner cinq images représentatives parmi celles que vous avez réalisées. Incitez-les à commenter et à dire tout ce qui leur passe par la tête à propos de ce qu'ils perçoivent sur ces photos. Qu'est-ce qui est en train de se dérouler concrètement? Qu'est-ce que cela leur évoque ou leur rappelle? Produisez un petit fanzine à partir de ce matériau, avec une photo par page et des extraits de commentaires en dessous. Donnez-le ensuite à vos interlocuteurs.
Rendez-vous dans un lieu (quartier, ensemble architectural, forêt, vallée) avec un usager régulier ou non de cet endroit. Cheminez avec cette personne pendant une vingtaine de minutes en lui proposant de vous guider sur ce territoire. Demandez-lui de le décrire et d'en commenter l'ambiance perçue et ressentie durant le parcours, aussi précisément que possible, en s'appuyant sur toutes les modalités sensorielles envisageables (visuelle, sonore, olfactive, tactile, thermique, voire gustative). Enregistrez ses remarques avec son accord. Une fois le parcours réalisé, échangez sur vos impressions respectives, et sur les phénomènes observés. Proposez à la personne de produire un plan annoté qui reconstitue le cheminement effectué, les impressions et les aspects marquants.
Demandez à quelqu'un la permission de le suivre pendant une heure ou deux dans ses activités quotidiennes ; idéalement avec une part de déplacements à l'extérieur. Sans échanger avec la personne que vous avez prise en filature, en vous tenant à un ou deux mètres d'elle, prenez des notes rapides (mots-clés, croquis, flèches indiquant des directions) sur ce que vous percevez : gestes et changement de postures, actions quelconques, paroles prononcées, interaction avec d'autres êtres et choses. Produisez une représentation cartographique (ou un plan) décrivant les activités réalisées et les faits marquants.
Choisissez une situation normée du quotidien (queue dans un magasin ou devant un distributeur, repas collectif, attente dans un ascenseur). Observez ce lieu de manière à saisir les manières de faire implicites qui y régissent les comportements routiniers, et représentez-les par un diagramme, comme dans l'exercice 6. À partir de là, trouvez un moyen d'adopter une conduite déplacée (passez devant quelqu'un dans la queue, mangez avec vos mains avec une posture différente des personnes qui vous entourent, placez-vous le dos tourné dans l'ascenseur). Regardez et écoutez les réactions alentour, et réalisez ces perturbations plusieurs fois en prenant des pauses entre deux interventions. Documentez ensuite sur votre diagramme l'effet produit par ces façons d'enfreindre de manière répétée les conduites sociales routinières.
« Expérience de perturbation », sociologue Harold Garfinkel, années 1960
Mettre en lumière les évidences des faits et gestes quotidiens qui ne sont en général pas interrogés, ni même toujours perçues
Éclaire les normes sociales non-dites et non-explicites en temps normal
Délimitez une zone sur une place qui vous inspire, dans un jardin, un parc, une forêt - ou l'étage d'un frigo. Documentez ce que vous observez en utilisant les démarches du premier chapitre. Reproduisez les instructions du premier exercice, à répéter ici idéalement à un rythme quotidien. Prenez des notes ou des photos, prélevez des sons, consultez ces inscriptions avant de retourner sur place pour détailler l'évolution du coin. Produisez après plusieurs mois un fanzine ou un petit livret qui rende compte de ce suivi, dans la durée ; par exemple en mettant au jour des rythmes ou des typologies.
David Haskell, biologiste, un an dans la vie d’une forêt
Il décrit pendant 12 mois une parcelle d’un mètre de côté
Jan Chipchase, designer, « Everything-I-touch-diary »
Photos de tout ce qu’il touche dans la journée
Trouvez dans l'espace (urbain ou non) un objet d'une taille supérieure à une valise, et plus petite qu'une automobile. Prenez-le en photo (ou faites-en un dessin) depuis sept points de vue et échelles différents : de très près (collé à l'objet), à dix centimètres, à un mètre, à trois-quatre mètres, puis plus loin à votre convenance. Faites-en un fanzine avec une image par page et un commentaire décrivant les caractéristiques uniques de cet objet perçu depuis cette distance.
Constituez un dossier sur un thème quelconque (l'énergie solaire, une espèce animale, votre quartier, les codes QR, le plastique) que vous suivrez pendant plusieurs mois en prélevant des extraits textuels, des images ou des extraits sonores et vidéos. Ce matériau relèvera d'éléments divers : extraits d'articles, statistiques, images, etc. La consultation de sources deux ou trois fois par semaine implique à la fois de constituer un
"réservoir" de références pertinentes et la relecture régulière des inscriptions prélevées les jours et semaines précédents. Ces sources peuvent relever de la presse grand public ou spécialisée, en ligne ou hors-ligne, d'ouvrages trouvés en bibliothèque, d'articles académiques, de newsletters, de comptes d'experts sur les réseaux sociaux, de conversations ou de littérature grise (rapports en tout genre, brevets). Annotez chaque pièce du dossier avec des mots-clés.
Sélectionnez une pratique qui vous intéresse, dans un monde social précis (cueillette de champignons, skateboard, tuning automobile, permaculture) que vous explorerez pendant plusieurs semaines avec les consignes des exercices antérieurs. Documentez copieusement les objets impliqués dans cette pratique avec des photos, des extraits de conversations à leur propos ou des dessins de gestes d'utilisation. Produisez un diagramme sous forme de réseau qui rende compte de manière synthétique des multiples composantes de cette pratique culturelle. Précisez sur ces diagrammes les liens entre eux avec des mots légendant les flèches qui précisent leurs multiples relations.
Pendant plusieurs jours/semaines/mois, lors de déplacements quotidiens ou d'errances quelconques, repérez tous les objets qui ont été détournés de leur usage initial. Pour les remarquer, faites attention à la présence éventuelle de bricolages en tout genre, traces d'usure ou couleurs discordantes, recours à du scotch, des ficelles, des matières disparates, ou signalétique approximative (flèches, messages, dessins griffonnés). Faites-en un fanzine avec sur chaque page un artefact, son nom et sa nouvelle fonction.
Choisissez un domaine du quotidien qui vous préoccupe et que vous ne connaissez pas (météorologie, permaculture, jeu vidéo en ligne, rugby, nouveaux rituels spirituels). Renseignez-vous sur cette pratique. Pour cela, suivez pendant plusieurs semaines les consignes des exercices 15 et 16, et relevez tous les mots que vous rencontrez et dont le sens vous échappe. Prêtez attention aux expressions provenant d'autres langues, n'hésitez pas à les chercher dans le dictionnaire ou sur des forums de traduction. Faites-en un lexique accessible pour un profane, organisé comme
un abécédaire.
Robert Macfarlane, journaliste et écrivain, lost words
Raviver des expressions désignant les paysages et les phénomènes naturels, expressions de moins en moins utilisées du fait de notre civilisation urbaine et progressivement supprimées des dictionnaires.
Trouvez au minimum dix mots d'argot, de patois ou expressions idiomatiques liées au territoire où vous vous trouvez. Utilisez pour cela toutes les sources disponibles, en réalisant des recherches en ligne (« patois + "nom du lieu" » ou « association patois + "nom du lieu" ») ou en bibliothèque de quartier/village (les dictionnaires du rayon localisme), ou en allant interroger quelques personnes dans la rue au hasard; en privilégiant les personnes beaucoup plus âgées (« quels mots on utilisait avant? », « de quelles créatures on vous parlait dans votre enfance? ») ou plus jeunes que vous (« quels mots d'ici vous utilisez que vos grands-parents ou vos amis d'ailleurs ne comprennent pas ?», « quelles créatures fictives vous viennent en tête dans cette région ?»). Produisez un petit lexique qui tienne sur une page A4 recto verso, avec un dessin pour chaque terme découvert.
Sélectionner une chose du monde qui n'attire en général pas votre attention (sacs à dos, feuilles d'arbres, manettes de jeu vidéo, panneaux d'interdiction, graffitis). Pendant plusieurs semaines/mois, documentez, par la photographie, le dessin ou un court texte, toutes vos rencontres avec ces choses. Notez le maximum de similitudes et de différences remarquables entre ces éléments, identifiez des catégories, puis tentez de les organiser d'une manière qui vous convienne. À partir de là, produisez une classification plus ou moins probante sous forme d'un poster, avec des noms de familles ou de catégories.
Railway Flora : classification des fleurs poussant au bord des voies ferrées de la ville tessinoise de Chiasso
Pendant plusieurs jours/semaines/mois, ramassez tous les petits objets (artificiels ou naturels) rencontrés dans vos promenades et déplacements : bogues de marron, tickets de transports en commun, feuilles mortes, débris en plastique, dépliants, plumes d'oiseau, etc. (vous pouvez aussi vous concentrer sur un seul type de ces objets). Mettez-les dans un sac ou un bocal, et déposez-les après sur une grande feuille de papier au sol (faites-en des photos si vos trouvailles vous répugnent ou que les observables sont trop volumineux). Produisez une classification sous forme d'un poster comme dans l'exercice précédent.
Choisissez un objet courant dans votre quotidien (un cuit-vapeur, une piscine gonflable, un aspirateur) et prenez une série de photographies à son propos. Rendez-vous ensuite sur un site de vente en ligne d'une culture différente de la vôtre (par exemple [TaoBao] si vous êtes en Europe) et mettez de côté des photographies et des descriptions d'objets similaires (aidez-vous de programmes de traduction comme DeepL pour en comprendre le contenu). Comparez alors les images les unes avec les autres afin de saisir les contrastes, les traits communs et les nuances. Rédigez un court texte qui rende compte de cette analyse pour un objet donné.
Définissez un protocole pour chaque territoire nouveau que vous visitez. Avant chaque voyage plus ou moins éloigné de chez vous (de l'autre côté de la planète ou au coin de la rue), constituez-vous votre petit observatoire portatif inspiré par ces exercices ou vos propres intérêts. Pensez à préciser les critères d'observation ainsi que le format du rendu.